Né à Geay en 1854, Edouard Allonneau est nommé président du tribunal de Bressuire en 1882. Au début des année 1890, il se fait construire sur de vastes terrains encore non bâtis, donnant sur le boulevard de Poitiers, une grande demeure bourgeoise d’inspiration Renaissance que la tradition baptisera « château Allonneau». Il y demeurera jusqu’à son décès en 1939.
Les photographies du fonds Ardouin révèlent les liens amicaux qui unissaient les deux familles. Henri Ardouin, avoué plaidant, se rapproche très certainement du juge Allonneau dans le cadre de sa profession. Mais c’est la partie intime de ces relations que le fonds rend visible : promenades et détente dans le parc, parties de tennis, mises en scène costumées.
D’autres familles bourgeoises se joignent au groupe. On croit notamment reconnaître le maire René Héry, qui exerce lui-même la profession d’avocat, identifiable à ses moustaches et son célèbre canotier. Ses liens amicaux avec la famille Allonneau sont attestés.
Plusieurs photographies mettent en scène ces mascarades appréciées de la classe de loisir à la « Belle époque ». Des jeunes filles, peut-être de la famille du président Allonneau, prennent des poses galantes aux abords du château ou juchées sur la rocaille de la pièce d’eau, costumées en Colombine.
On pense évidemment à Verlaine, inspiration revendiquée du poète Paul Ardouin, et plus particulièrement à sa « Colombine » et à son « Clair de lune » mis en musique par Debussy :
Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Ce thème et ces personnages mélancoliques sont d’ailleurs illustrés par Paul Ardouin dans un sonnet extrait de son recueil « Les Lambeaux de mon rêve » (Niort, Ed. Georges Clouzot, 1921). Ce poème (autobiographique ?) s’intitule « Désespoir de Pierrot » :
Tu ne m’as jamais dit « je t’aime », Colombine,
Jamais tu ne m’as dit ce mot triste et charmant
« Je t’aime », qu’on prononce avec un grand serment,
Car ton esprit profond, plein de ruse combine,
Âme perfide comme l’onde, et ton cœur ment !
Non, je n’ai pas connu l’adorable moment
Où l’on goûte ces mots d’une lèvre divine.
Je n’ai connu de notre amour que le roman
À la page où l’on rit … le reste se devine !
Or j’ai dit aux buissons pleins de nids, aux halliers,
 la plaine, au vallon, aux bois familiers,
Cruelle, et ta blessure et ma triste rancune
Et le tourment affreux où tu m’avais lié,
Et le soir t’évoquant dans l’ombre, humilié,
À genoux, j’ai pleuré bien longtemps sous la lune !
Un groupe de 11 personnes, cinq hommes et six femmes, posent dans le parc du « château », au bord d’une pièce d’eau. Les arbres sont encore jeunes, et le bâtiment qui domine le paysage en arrière-plan, symbole d’une évidente réussite sociale, semble de construction récente. Il fait beau, et tous s’abritent sous des canotiers ou des ombrelles. L’ambiance est détendue, non conventionnelle. Les vêtements bourgeois s’accompagnent d’une forme de désinvolture qui atteste du caractère privé de cette mise en scène typique de la Belle époque.
Le parc. Une allée gravillonnée part du coin gauche et rejoint le « château » Allonneau, dont on aperçoit à droite l’une des façades. Occupant la totalité du cadre, un arbre se déploie au bord de la pièce d’eau qu’on a décorée d’un nichoir. Une femme est assise sur un siège de jardin, profitant de l’ombre. La photographie, sans doute prise en période estivale, joue sur les contrastes lumineux, et peut se rattacher à l’esthétique impressionniste des peintres Renoir ou Monet.
Parc du château Allonneau. Deux jeunes femmes costumées en Colombine prennent la pose sur la rocaille d’une pièce d’eau. Souriantes, elles regardent l’opérateur en tenant leur violon à la manière d’une guitare, faisant mine de jouer en pizzicato. Issue de la commedia dell’arte, Colombine est un personnage récurrent dans les arts de la scène au XIXème siècle, associé notamment à la pantomime ou la marionnette. Malicieuse, elle mène souvent son amoureux, Pierrot ou Arlequin, par le bout du nez… En arrière-plan, on aperçoit le toit d’une dépendance visible depuis le boulevard de Poitiers (aujourd’hui, n° 41), reconnaissable à son toit d’ardoise très pentu.
Les mêmes jeunes femmes costumées en Colombine, et tenant leur violon à la main, posent cette fois-ci dans le cadre du « château », reconnaissable à son encadrement de fenêtre et son bandeau en pierre calcaire. Les regards sont plus mélancoliques que sur la première photo et jouent sur un effet « balcon », lieu commun du romantisme inspiré de Roméo et Juliette. Un grand palmier en pot agrémente la partie droite du décor.
Les deux Colombines ont pris place à l’extérieur du « château », décoré par un banc de métal et deux jeunes palmiers en pot. Elles se saluent respectueusement en amorçant une révérence. Cette gestuelle évoque clairement la pantomime, art de la scène popularisé au XIXème siècle par le mime Debureau. Pierrot fut d’ailleurs sa création la plus célèbre.
Sur la rocaille déjà vue sur une autre photographie, mais environnée par une végétation beaucoup plus fournie, ont pris place trois femmes et quatre hommes. Cette mise en scène fait appel à des accessoires inattendus : trois raquettes de tennis, qui rappellent la proximité du court installé près des dépendances. La femme qui se trouve à droite pourrait être Hélène Ardouin, épouse de l’avoué. À gauche, dans une posture très décontractée, on croit reconnaître l’avocat René Héry à son canotier, la fine monture de ses lunettes et la forme particulière de sa moustache. Héry était un ami de la famille Allonneau. Il succédera à Henri Ardouin comme maire de Bressuire en 1901, après la démission de ce dernier pour raison familiale.
Le court de tennis de la famille Allonneau, donnant sur le boulevard de Poitiers (aujourd’hui, n° 41). Né après 1850 en Angleterre, longtemps aristocratique, le tennis moderne est encore une pratique réservée à l’élite sociale à l’époque de cette prise de vue. Sans doute s’agit-il ici de l’un des premiers courts privés installés en terre bressuiraise. On observera que les deux joueurs présents sur la photo sont en vêtements décontractés, mais ne portent pas de tenue spécifique.
Autre vue du court de tennis de la famille Allonneau. À gauche, la dépendance dispose d’un toit d’ardoise pentu et débordant dans le style des villas normandes de bord de mer. Ce bâtiment évoque donc une ambiance de villégiature, associée aux loisirs balnéaires de cette fin du XIXème siècle. Cinq personnages, deux hommes et trois femmes, sont disposés sur une même ligne derrière le filet.